Le 7 septembre 2000, la Guinée a signé la Convention de Rome portant création de  la Cour pénale internationale (CPI) du 18 juillet 1998, encore appelée ‘’le Statut de Rome’’. Elle l’a ratifiée le 14 juillet 2003. Ainsi, elle s’est engagée :

– D’une part, à faire un bon usage du principe de complémentarité avec cette juridiction supranationale, aux côtés de la communauté internationale, pour faire les enquêtes et le jugement des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des crimes d’agression, ainsi que des infractions qui leur sont connexes, tels que les viols et autres formes de violences basées sur le genre ; et

– D’autre part, à transposer dans son droit interne le Statut de Rome et ainsi à se doter d’un dispositif normatif et institutionnel à même de prévenir et, au besoin, de réprimer les graves violations des droits humains.

A cet égard, il convient de saluer et féliciter la CPI pour les acquis engrangés dans la lutte contre l’impunité à travers le monde. Cette lutte doit fédérer toutes les énergies, parce que l’impunité est la véritable source de toutes les ignominies et des pires atrocités que l’on observe malheureusement çà et là à travers le monde.

Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à ces propos tenus par un repris de justice à son avocat surpris de le voir à nouveau maille à partir avec la justice après avoir échappé de très peu à la peine de mort par pendaison ; citation :

« Vous savez Maître, il y a tellement de chances en notre faveur et tellement peu contre nous que je suis le premier surpris d’être là. D’abord les chances sont élevées de ne pas être pris ; si pris, de ne pas être jugé ; si jugé, de ne pas être condamné ; si condamné, de ne pas être exécuté ». Fin de citation.

De son côté, le Ministre Malick Coulibaly, aujourd’hui expert du PNUD, a écrit : « La justice a besoin de la force pour son accomplissement, et la force a besoin de la justice pour sa justification. Il en résulte une véritable symbiose entre force et justice. Lorsque cette symbiose faiblit, l’arbitraire, l’injustice, l’impunité  et la violence triomphent ». Il reste entendu que la symbiose faiblit lorsque la justice s’arrête aux portes des Forces de Défense et de Sécurité, titulaires de la force et de la violence légitimes.

Le présent propos vise à ouvrir les débats et susciter des échanges autour de ce thème d’actualité. Pour ce faire, il sera articulé autour des deux points ci-après :

– La Guinée face à son devoir de coopérer avec la CPI, aux côtés de la communauté internationale, en application des dispositions pertinentes de l’article 86 du Statut de Rome (I) ;

– Le dispositif normatif et institutionnel de lutte contre l’impunité en Guinée (II).

  1. La Guinée face à son devoir de coopérer avec la CPI

Avant tout, il semble opportun de faire un bref aperçu de l’histoire et des éléments factuels qui valent à la Guinée sa coopération avec la CPI, même si cette coopération avait ralenti avant d’être gelée à un moment donné.

L’histoire de la Guinée indépendante est, en effet, loin d’être un long fleuve tranquille. Au nombre des remous qui ont secoué ce pays, figurent en bonne place les évènements tragiques du 28 septembre 2009. Ce jour-là, une manifestation pacifique organisée par des partis politiques et la société civile a – il ne faut pas peur des mots – été sauvagement réprimée notamment par les forces de l’ordre, conduisant à ce qu’il est convenu d’appeler, pour le moins, « les évènements du 28 septembre 2009 ».

Face à cette situation, l’ONU a très tôt mis en place une Commission d’enquête internationale dont le rapport, présenté le 13 janvier 2010, mentionne qu’il y a eu 156 personnes tuées ou portées disparues et au moins 109 femmes violées ou victimes d’autres formes de violences sexuelles, notamment des mutilations sexuelles et l’esclavage sexuel. Ce rapport mentionne également des cas de tortures et de traitements inhumains, cruels ou dégradants.

La Commission nationale d’enquête mise en place par le Gouvernement guinéen d’alors a, dans son rapport publié en janvier 2010, également confirmé la perpétration de meurtres, de viols et de disparitions forcées.

Des Organisations internationales de défense des droits de l’Homme, notamment la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et Human Rights Watch, ont également conduit des enquêtes et produit des rapports pour le moins accablants.

Sur la base des informations à sa disposition, le Bureau du Procureur de la CPI a estimé qu’il existait une base raisonnable permettant de croire que des crimes touchant la communauté internationale ont été commis à Conakry le 28 septembre 2009 et les jours suivants et, précisément, des crimes de meurtre, d’emprisonnement ou autres formes graves de privation de liberté, de tortures, de viol et autres formes de violences sexuelles, de persécution et des disparitions forcées au sens de l’article 7 du Statut de Rome.

L’annonce par le Bureau du Procureur de la CPI de l’ouverture d’un examen préliminaire a déterminé les autorités guinéennes d’alors  à notifier à la CPI leur prédisposition et leur aptitude à faire mener, en l’espèce, une procédure judiciaire digne de ce nom.

Alors, la CPI a placé la Guinée sous observation et dépêché, à cet effet, une équipe d’experts ayant à sa tête l’éminent magistrat, Monsieur Amady BA, Chef de département au sein de cette haute juridiction. Cette équipe a effectué plusieurs visites de terrain, et il convient ici de saluer au passage ses membres pour leurs utiles conseils au Gouvernement.

Cela dit, l’on est aujourd’hui en droit de se poser une question fondamentale, à savoir : La Guinée a-t-elle jusque-là fait un bon usage du principe de complémentarité avec la CPI, aux côtés de la communauté internationale, à propos du traitement judiciaire du dossier des évènements du 28  septembre 2009 ?

– La réponse à cette question a historiquement évolué en dents de scie, et plus exactement, elle a varié selon le régime en place.

En effet, sous le régime d’Alpha CONDE, la réponse est dans un premier temps ‘’oui’’ et, dans un second temps, ‘’non’’.

Oui, pour la période allant de la date d’ouverture des poursuites judiciaires en 2009 à celle de la clôture de l’information en 2019. En effet, à la survenance des évènements du 28 septembre 2009, la justice guinéenne avait pris ses responsabilités, dans le cadre de la lutte contre l’impunité, en mettant en place un pool de 3 juges d’instruction chargés d’instruire cette affaire afin d’aboutir à un jugement dans un délai raisonnable.

A cet égard, il convient de saluer au passage les efforts du Système des Nations Unies qui a bien voulu mettre à la disposition de la Guinée, pour accompagner le pool de magistrats instructeurs, un expert de qualité en la personne du Ministre Bal Ahmedou Tidjane qu’il convient également de saluer au passage.

D’ailleurs, comme l’atteste la lettre de satisfaction et d’encouragement du 31 octobre 2014 que Madame le Procureur de la CPI à l’époque avait adressée à la Guinée, des actes d’enquête significatifs  avaient été posés. En effet, il faut noter que 450 victimes ont été entendues et que treize   inculpations, y compris parmi les plus hautes autorités du pays à l’époque, ont été faites.

Toujours sous le régime d’Alpha CONDE, la réponse est, cette fois-ci, ‘’non’’ pour la période allant de la date de clôture de l’information en 2019  à celle du 5 septembre 2021, date de l’avènement au pouvoir, à la satisfaction de l’ensemble des populations guinéennes, du Comité national du Rassemblement pour le Développement (CNRD) avec à sa tête le Colonel Mamadi DOUMBOUYA.

Non, parce qu’au cours de cette dernière période, les autorités d’alors avaient, pour des raisons non encore élucidées, commencé à traîner les pieds quant à l’organisation matérielle du procès après l’ordonnance de renvoi.

Plus exactement, les travaux de construction du tribunal ad-hoc devant abriter le procès, qui avaient pourtant démarré auparavant en fanfare, se sont timidement poursuivis au cours de cette période avant d’être purement et simplement gelés lorsqu’ils étaient à un taux d’exécution de 59%. De surcroît, aucun  discours officiel ne faisait désormais allusion à la tenue du procès.

Cependant, toute chose finissant par son contraire, les hésitations ont cessé depuis l’avènement du CNRD au pouvoir, le 5 septembre 2021. La réponse est donc ‘’oui’’ depuis cette date.

En effet, l’objectif très tôt annoncé par les nouvelles autorités du pays est de jeter les bases d’un Etat de droit en Guinée tant attendu par les populations de ce pays ; ce qui suppose une réelle volonté politique de rompre avec l’impunité par l’organisation du procès dans le double souci de punir les véritables coupables et de soulager les familles des victimes.

Dans cette perspective, à ce jour, non seulement les organes chargés de l’organisation du procès ont été restructurés et rendus plus opérationnels, mais également les partenaires techniques et financiers sont davantage associés à la démarche.

En outre, les travaux de construction du tribunal ad-hoc devant abriter le procès sont aujourd’hui exécutés à hauteur de 90 %. Aussi, au titre des orientations, le Chef de l’Etat a-t-il fixé le démarrage du procès à la date-limite du 28 septembre 2022.

Justement, dans le cadre de la mise en œuvre de cette directive, le Gouvernement entend aller vite. C’est ainsi qu’il a mis en place une commission technique multisectorielle qui a déjà élaboré l’avant-projet de décret  fixant les règles d’application du Code de procédure pénale (CPP).

Ce texte règlementaire, qui regroupe les 65 textes d’application prévus par ce dernier, parmi lesquels le Fonds d’indemnisation des victimes des graves violations des droits de l’homme, est actuellement en discussion au niveau du Conseil des ministres. Il en est de même de l’avant-projet de loi devant servir de base juridique au regroupement de ces textes d’application.

A l’évidence, ce travail tend à combler le vide juridique lié à l’absence de textes d’application du CPP, à en faciliter l’exploitation et à limiter les causes de nullité et les exceptions qui pourraient être soulevées par les avocats de la défense lors du procès.

En outre, ont été élaborés et sont sur le point d’être signés les projets d’arrêté portant création et modalités de fonctionnement des comptes spéciaux du Trésor où seront logés les fonds destinés au fonctionnement des organes chargés de l’organisation du procès et à l’indemnisation des victimes d’atrocités.

De même, le projet de loi sur la protection des victimes et des témoins est sur le point d’être transmis au Conseil national de Transition pour adoption.

En plus, le plan de mise à niveau des magistrats et greffiers devant conduire le procès est à ce jour finalisé, et la liste des personnes concernées, déjà élaborée.

Auparavant et dans le droit fil de la subsidiarité, la Guinée s’était déjà dotée d’un dispositif normatif et institutionnel à même de prévenir et, au besoin, de réprimer les graves violations des droits humains. C’est l’objet de la seconde partie de l’exposé.

II- Le dispositif normatif et institutionnel de lutte contre l’impunité

    en Guinée

 Au cours de la période allant de 2016 à 2019, de nouveaux textes répressifs qui tiennent  compte des engagements internationaux de la Guinée  ont été adoptés. Tel est le cas du Code pénal, du Code de procédure pénale, du Code de justice militaire et du Code de l’enfant.

Il est à noter que la peine de mort a été omise dans le nouvel arsenal juridique guinéen et que les juridictions guinéennes sont désormais compétentes pour connaître des crimes les plus graves. Aussi, des séries  d’ateliers de vulgarisation des nouveaux textes de loi ont-elles été organisées.

Autrement dit, l’on peut valablement affirmer que la Guinée dispose aujourd’hui de textes pénaux qui sont en phase avec les instruments juridiques régionaux et internationaux qu’elle a dûment ratifiés, y compris bien évidemment le Statut de Rome. Elle dispose également des acteurs plus ou moins à même de les appliquer.

En particulier, il y a lieu de préciser que le Code pénal prend largement en compte les crimes relevant de la compétence de la CPI, en l’occurrence les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et les crimes d’agression.

A cela s’ajoute la lettre de mission élaborée par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement de Transition, qui place au rang des priorités de l’équipe gouvernementale notamment la lutte contre la corruption et l’impunité ainsi que l’humanisation des conditions de détention.

S’agissant justement de la lutte contre l’impunité, il est prévu une série d’activités tendant à l’amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale et à la lutte contre les violences faites aux femmes, aux mineurs et aux autres couches sociales vulnérables.

Toujours dans le cadre de la mise en œuvre de cette lettre de mission, il y a lieu de noter que les projets de politique pénale et de politique pénitentiaire ont été adoptés ; ce qui est d’ailleurs une première en Guinée depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1958. En outre, des séries de formations en direction des personnels judiciaire et pénitentiaire sont envisagées.

Au plan institutionnel, le Gouvernement a notamment mis en place une ‘’Commission nationale Vérité et Réconciliation’’ dont les recommandations vont, sans nul doute, indiquer la voie d’une paix durable en Guinée. Il est également prévu le renforcement des capacités des acteurs de la chaîne pénale au titre des actions prioritaires du ministère de la Justice et des droits de l’homme pour la période allant de 2022 à 2024.

Mais au-delà de tous ces efforts et au regard de l’adage bien connu selon lequel « Est bien qui finit bien », il va sans dire que la réussite du procès envisagé dépendra du sérieux qui sera apporté non seulement pour la suite des préparatifs de ce procès, notamment quant au choix des magistrats et greffiers devant composer le tribunal appelé à statuer, mais également pendant et après le procès.

Il reste entendu que celui-ci sera le premier du genre en Guinée et qu’il mettra en jeu l’image du pays en raison de sa dimension internationale.

A cet égard, il convient de remercier bien vivement les partenaires techniques et financiers pour leur appui inlassable au renforcement des capacités des ressources humaines et à l’élaboration des textes normatifs permettant de rendre efficacement la justice pénale sur l’ensemble du territoire national, déchargeant ainsi quelque peu la CPI des efforts colossaux qu’elle ne cesse de déployer à travers le monde dans le cadre de la lutte contre l’impunité.

Bref, ainsi que l’a souligné le Ministre Malick COULIBALY, le charme des choses n’est-il pas que le vrai succès de la CPI réside dans sa disparition un jour, lorsqu’à l’échelle planétaire,  non seulement la justice aura partout triomphé, mais également l’impunité aura été partout vaincue ?