Après plus d’une décennie d’attente, le procès des auteurs présumés du massacre du 28 septembre a démarré au tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry. De par ce procès, la Guinée entend démontrer sa souveraineté judiciaire. Le défi est grand sur tous les plans. Ce type de jugement n’a pas de précédent similaire en Afrique.

C’est un procès fleuve qui met à l’épreuve les magistrats guinéens. Et parmi ceux qui composent le tribunal, beaucoup de Guinéens découvrent des magistrats du parquet et du siège qui font preuve de maitrise de leur profession.

De ce lot, leperroquetguinee.com s’intéresse au procureur de la République près le tribunal de Dixinn, Algassimou Diallo. C’est le magistrat qui poursuit l’ex chef de la junte, Moussa Dadis, Toumba Diakité et plusieurs autres anciens responsables du CNDD, (Conseil National de la Démocratie et pour le Développement). Ils sont soupçonnés d’avoir joué un rôle dans le meurtre de 157 civils, la disparition de plusieurs autres, ainsi que des viols de masse.

Alghassimou Diallo se distingue de par son calme, ses questions pointues et surtout sa maîtrise de la langue de Molière. On ne le voit jamais s’enflammer au pupitre du ministère public où il est entouré par plusieurs substituts.

Une unanimité se dégage sur lui. La maîtrise des sujets qu’il aborde, sa courtoisie vis-à-vis des accusés, quelquefois très hargneux à la barre et mus par la volonté irascible de démontrer et de prouver au juge leur innocence. Un caractère qui ne surprend pas.

Beaucoup le découvrent progressivement à travers ce procès historique du 28 septembre 2009. Son regard fixant et son calme tranchent avec la pertinence de ses questions, qui coincent certains accusés. Le magistrat Alghassimou Diallo fait montre de cohérence dans la procédure tout en gardant une certaine courtoisie à l’endroit des mis en cause.

Produit de l’école guinéenne

Marié à une femme et père de deux enfants, Alghassimou Diallo est le Fils d’une secrétaire et d’un enseignant. Il est né à Labé, ville de la moyenne Guinée, en juin 1976. Mais c’est dans la préfecture de Lélouma, en 1984 qu’il fait ses premiers pas à l’école. Il fait l’école primaire, puis le collège avant de revenir dans sa ville natale pour faire le lycée, options Sciences Sociales.

Dans la ville de Karamoko Alpha Mo Labé, décroche ses deux baccalauréats et se voit orienté à la faculté de Droit de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry. De cette université, il sort avec une maitrise en Droit en l’an 2000.

A la suite d’un concours de recrutement des auditeurs de justice futurs magistrats, organisé en 2005 par le ministère de la justice, il est admis. Après deux ans de formation, il sort en tant que titulaire du Brevet du centre de formation et de documentation judicaire en 2007.

Chemin faisant, Algassimou Diallo croise le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara, président du tribunal criminel de Dixinn. Ce sont de vieilles connaissances qui se côtoient. Les deux magistrats sont de la même promotion au centre de formation et de documentation judicaire.

Début de carrière

L’actuel procureur entame sa carrière professionnelle en 2009 après avoir été nommé juge civil au tribunal de première instance de Mafanco. Il y est resté pendant deux ans avant d’être nommé en 2011, Substitut du procureur de la République près le Tribunal de première Instance de Kaloum. Dans cette juridiction, il a été deux fois confirmé à son poste.

De Conakry, Alghassimou sera nommé le 06 aout 2018, procureur de la République près le Tribunal de première Instance de Siguiri, dans la région administrative de Kankan. Il va y rester jusqu’au mois de novembre 2019 avant qu’il ne soit nommé procureur de la République près le tribunal de première instance de Pita, dans la région administrative de Mamou.

Le coup de force qui change le destin 

En Septembre 2021, Alpha Condé est renversé par le groupement des Forces Spéciales dirigé par Colonel Mamadi Doumbouya qui met en place le CNRD (Le Comité national du rassemblement pour le développement) comme l’organe central de prise de décision et d’orientation politique de la République Guinée.

Devenu président la Transition, l’officier supérieur de l’armée guinéenne lance un vaste remaniement au niveau de l’appareil d’Etat. La justice guinéenne n’est pas épargnée par son programme de refondation et de rectification institutionnelle. Après avoir mis plusieurs magistrats à la retraite, il confie les cours et tribunaux à une nouvelle génération de magistrats. Jeunes, pour la plupart.

Dans son programme, la lutte contre l’impunité, légion dans un pays miné depuis son indépendance par des crimes de toute sorte. L’organisation du procès sur le massacre du 28 septembre 2009, en Guinée, est inscrite comme une priorité. La CPI (Cour Pénale Internationale) qui avait le pays dans son collimateur depuis 13 ans attendait l’ouverture du procès. Mamadi Doumbouya décide de mettre la justice guinéenne à l’épreuve en comptant sur l’expertise nationale. Un courage historique, salué par les guinéens et la communauté internationale.

Le 29 décembre 2021, Alghassimou Diallo qui était jusque-là procureur au TPI de Pita est nommé procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Dixinn en remplacement de Sidy Souleymane N’Diaye, appelé à d’autres fonctions.

« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », disait Pierre Corneille, dans le Cid. Cette citation d’anthologie du Poète et dramaturge français est la préférée de l’empereur des poursuites engagées contre Dadis Camara et cie au Tribunal Criminel de Dixinn.

Ainsi, après sa nomination, il aura fallu quelques mois à l’homme en robe rouge-noire pour prendre connaissance de ce dossier complexe, sensible et vieux de 13 ans qui est lié au massacre du 28 septembre 2009. Des crimes qui ont fait au bas mot plus de 150 morts, une centaine de femmes violées, et un millier de blessés. Un enorme défi à relever pour l’homme de 47 ans.

De la conduite du Procès du 28 septembre

Le 28 septembre 2022, soit 13 ans après les faits, les onze accusés sont appelés à la barre du Tribunal de première Instance de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry, dans la Commune de Kaloum. A l’ouverture, Alghassimou Diallo a dû convaincre le tribunal pour obtenir une couverture médiatique du procès.

Devant des accusés dont un ancien président de la République de Guinée, une première, et son aide de camp, le Magistrat reste imperturbable, en dépit de la présence d’avocats expérimentés qui tentent le tout pour le tout pour déstabiliser le Parquet. En essayant de faire croire que le parquet ne dispose pas de preuves solides contre leurs clients.

Dans son rôle, il charge les accusés partant selon lui, des preuves à sa disposition. « Le moment venu, nous allons étayer ici tout ce que nous avons dit ici par les preuves qui sous-tendent nos déclarations. Nous ne mettrons pas la charrue avant les bœufs. Donc, pour le moment nous en avons fini, le reste nous le développerons dans nos réquisitions », lance-t-il à Moussa Dadis Camara et sa défense qui tentaient de nier la présence de l’ex président aux alentours du stade, le 28 septembre 2009.

Son assurance dans la prise de parole, sa cohérence, sa pertinence, Alghassimou Diallo les puise des différentes formations qu’il a suivies, et de la déontologie en magistrature.

Ancien stagiaire au tribunal de grande Instance de Bobigny en région Française, il exploite les éléments ‘’à sa possession et les colle à la loi.’’

Pour tuer le temps pendant ses heures de repos, le procureur s’aventure dans la lecture et écoute un peu de la musique. Conduire un procès historique en Guinée et même en Afrique est un sentiment de fierté car les autorités guinéennes, en faisant confiance aux magistrats et à justice guinéenne, expriment une souveraineté judiciaire.

« Nous irons jusqu’au bout, jusqu’il ait une réquisition et que le tribunal pour que tous ceux qui sont renvoyés soient situés sur leur sort », assure-t-il.

Mais pour y parvenir, face à des avocats qui se laissent parfois emporter et créent des incidents pendant le procès, Algassimou Diallo lance ce message.

« Nous sommes entre nous professionnels du droit, nous devons faire bon usage des dispositions de l’article préliminaire du code de procédure pénale et intégrer nos manières de faire des dispositions de l’article 400. Si nous œuvrons dans ce sens et que les langages soient assez responsables, je pense que c’est la justice guinéenne qui aura gagné. Nous sommes certes en Guinée mais nous sommes suivis à travers le monde. Que les uns et les autres sachent raison gardée, que nous nous fassions violence nous-mêmes pour peaufiner nos comportements afin que nous puissions mener à bon port ce procès pour le peuple de Guinée » conseille le magistrat.

Ousmane Bony