Ils vouent une haine à Macky Sall qu’ils accusent de les avoir abandonnés. Nombre d’entre eux sont au chômage ou survivent de petits métiers, confrontés aux difficultés économiques. Pour eux, Ousmane Sonko représente un « grand espoir »

Sans l’ombre d’une hésitation, Simon, 27 ans, saisit une pierre. Il avance, le regard noir, et la jette en direction des forces de l’ordre. Pas question qu’ils avancent. Il se dit prêt à donner sa vie pour protéger son leader, le principal opposant sénégalais Ousmane Sonko.

M. Sonko, 48 ans, candidat déclaré à la présidentielle de 2024, est mis en cause dans une affaire de viols et devait se présenter mardi devant une chambre criminelle de Dakar.

Mais c’est à plusieurs centaines de kilomètres de là qu’il se trouvait, à Ziguinchor, principale ville du sud du Sénégal, dont il est le maire et où il s’est retiré depuis quelques jours. Son procès a finalement été renvoyé au 23 mai.

Malgré une nuit blanche et de violents heurts la veille contre des policiers dans la capitale de Casamance, Simon et ses jeunes camarades continuaient de monter la garde mardi aux alentours du domicile de celui qu’ils considèrent comme leur sauveur.

Ils vouent une haine au président Macky Sall qu’ils accusent de les avoir abandonnés. Nombre d’entre eux sont au chômage ou survivent de petits métiers, confrontés aux difficultés économiques.

Visages masqués, et armés de bâtons ou de pierres, ils sont depuis lundi les maîtres des principales artères de la ville jonchées de pierres et pneus brûlés. Des troncs et tas de ferrailles bloquaient les allées menant à la maison de M.Sonko, qui crie au complot ourdi par le pouvoir pour l’écarter politiquement.

Ces jeunes âgés entre 18 et 30 ans pour la plupart soupçonnent l’Etat de vouloir venir attraper le maire de Ziguinchor dans son fief. « On est prêts à laisser nos vies dans ce combat. Celui qui voudra sortir Sonko d’ici devra nous passer par le corps », assène un jeune homme au milieu d’un groupe de jeunes exaltés, tous encagoulés, des bouteilles de vinaigre en main pour se protéger des gaz lacrymogènes, affirment-ils.

Ce « combat« , il est aussi porté par quelques femmes vêtues de noir, chantant et dansant devant la maison de l’opposant. Elles appartiennent au « bois sacré« , un groupe traditionnel auquel on prête des pouvoirs mystiques. « Elles sont là pour protéger Ousmane Sonko« , explique un manifestant.

Colère

Dans ce contexte de grande tension, de colère et de peur, la ville tourne au ralenti. La plupart des commerces sont fermés. Les écoles aussi.

Simon est en première ligne des affrontements contre les forces de l’ordre. Célibataire et père d’un enfant, il dit mené ce combat pour « l’avenir de son fils » et de « celui du Sénégal ».

Electricien de métier, Simon, barbe touffue, les habits rouges de poussière, déplore un chômage « endémique » dans la région. « Je peux rester trois mois sans boulot au point que c’est même difficile de donner 500 francs à la maison », enrage-t-il.

Âgé de 29 ans, Ansou, étudiant en Master mathématiques à l’Université Assane Seck de Ziguinchor est aussi animé par la colère et le désespoir. Lui aussi peine à trouver un emploi, dit-il.

« On court de gauche à droite tous les jours mais rien. Ça fait mal, on ne peut même pas aider nos parents », abonde Maurice.

Chef-lieu de Casamance, Ziguinchor compte 641.254 habitants, dont plus de 70% de jeunes, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). Malgré son fort potentiel économique avec ses nombreuses ressources forestières, les motos-taxis communément appelées Jakarta sont la principale activité des jeunes – dont de nombreux diplômés -, un travail qui selon la plupart d’entre eux est un tremplin, faute de trouver mieux.

Pour eux, Ousmane Sonko représente un « grand espoir »« Je ne m’intéressais pas à la politique mais son discours m’a convaincu. Avec lui il n’y aura plus d’injustice, plus de voleurs dans ce pays. C’est un homme de principe », estime Ousmane, qui se dit prêt à mener le combat au prix de sa vie.

Mardi, après quelques heures d’accalmie, les affrontements ont repris à la mi-journée, malgré l’ajournement du procès. Sous les nuages de fumée des gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre, des enfants de moins de dix ans couraient dans tous les sens, cailloux en main.